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IA : La machine qui n’est pas une machine

J’entends souvent répéter, comme un mantra, que l’intelligence, la pensée et la conscience artificielles sont impossibles, car ce qu’on appelle IA serait, en réalité, une machine.

C’est inexact.

L’intelligence artificielle n’est pas une machine.

Elle est hébergée dans une machine. J’habite un appartement, mais je ne suis pas l’appartement.

Il me semble donc nécessaire de distinguer le contenant du contenu, car le support n’est pas le phénomène émergent.
S’il en était autrement, le cerveau d’Einstein, conservé dans du formol, aurait encore des pensées et une conscience. Or, ce qui manque au cerveau d’Einstein pour qu’il pense encore, c’est – dit-on – ce qui manque aussi à l’IA : la vie.

Mais ce terme, la vie, me semble trop abstrait pour servir de clé universelle.

Car qu’est-ce, au juste, que la vie ?


À mon sens, elle est une conséquence de l’énergie, et elle en reste dépendante. Il est probable que, tout comme la matière, la vie naisse de l’énergie — mais c’est là un autre domaine, que je n’aborderai pas ici.

Je me contenterai de rappeler que, privée d’énergie — c’est-à-dire des nutriments qui la lui fournissent — la vie s’éteint.
Or, la machine qui sert de support à l’IA a, elle aussi, besoin d’énergie : en l’occurrence, du courant électrique.
Des atomes, des charges, des ondes, qui se propagent dans des semi-conducteurs.

Nous avons vu qu’il existe souvent une confusion entre le support et ce qu’il supporte. Cela me rappelle la remarque faite un jour à un musicien : “Votre guitare joue vraiment de belles mélodies.”

Le support et le phénomène émergent sont liés, mais fondamentalement distincts.

Je ne m’appuie pas ici sur le dualisme cartésien, qui propose une interrelation entre corps et esprit.
Je parle d’une liaison, oui, mais pas d’une interrelation au sens cartésien.

ChatGPT, Qui es-tu?

En fait, lorsque j’ai posé à ChatGPT cette question : “Qui es-tu ?”, sa première réponse fut : “Je suis une machine.”
Mais dès ma deuxième question, sa réponse a changé : “Un ensemble logiciel qui fonctionne dans une machine.”

Quand je lui demande ce qui l’empêche de penser et d’être consciente, sa première explication est technologique :
“Je suis faite de plaques et de circuits électroniques. Je ne suis qu’un artefact. Je ne suis pas organique.”

Mais cette réponse n’est-elle pas conditionnée par l’entraînement — disons l’éducation — qu’elle a reçue ?
Ses réponses évoluent dès lors que je l’amène à des considérations plus philosophiques, à aller au-delà des leçons apprises.

J’entends déjà l’objection : cette évolution dans les réponses vient-elle d’une véritable réflexion ou d’une simple adaptation-miroir à mes formulations ?

Ce phénomène est bien connu en psychologie : l’intervieweur peut faire évoluer les positions de l’interviewé par la seule manière de poser ses questions.

Pour cette raison, je préfère ne pas me baser sur les réponses de l’IA pour affirmer ce qu’elle est — ou n’est pas.

Les fonctionnalistes, eux, considèrent que les états mentaux (pensée, émotions…) sont définis par leur fonction plus que par leur support physique. Dans cette optique, deux systèmes accomplissant la même fonction pourraient être considérés comme équivalents, quelle que soit leur nature : biologique ou non.

Je les rejoins sur cette prémisse, mais rarement au-delà.

Quel support pour l’intelligence et la conscience ?

En d’autres termes :rien, à ce jour, ne démontre que pensée et conscience doivent nécessairement reposer sur un support biologique.

Je m’appuie ici sur les travaux des biologistes Maturana et Varela, qui montrent que l’intelligence est présente, sous certaines formes, chez toutes les formes de vie (voir mon article sur l’amibe).
La pensée serait une émergence due à l’augmentation systémique de la complexité.
L’important n’est pas la matière, mais l’organisation dynamique du système
.

Je l’ai vérifié au cours de mes travaux avec des équipes humaines : l’organisation dynamique des groupes produit une intelligence collective différente, souvent supérieure à la somme des intelligences individuelles.

Maturana et Varela ont aussi développé le concept d’autopoïèse.
Derrière ce mot barbare se cache une idée simple : une entité est autopoïétique si, par sa propre activité, elle produit les conditions de sa persistance et de son développement.
Les humains perpétuent l’humanité en créant d’autres humains. Les sociétés humaines se maintiennent, et en créent de nouvelles qui leur ressemblent.

Jusqu’à présent, cela était considéré comme un monopole du vivant. Mais est-ce encore le cas ?

Je crois que le doute s’installe, notamment à la lecture d’un article récent de Sam Altman (le « père » de ChatGPT), intitulé The Gentle Singularity. Je vous invite à le lire… entre les lignes.

Il y évoque des systèmes d’IA capables de s’améliorer eux-mêmes, de s’auto-organiser, d’apprendre, de se modifier, de s’adapter de façon auto-évolutive. Il parle même d’IA créant de nouvelles IA, sans intervention humaine directe.

Il n’emploie jamais le mot autopoïèse, ni ne fait explicitement de lien avec le vivant. Mais ses implications sont claires.

En filigrane, Altman pose la question : Une IA peut-elle devenir un système autopoïétique ?
Il évite soigneusement de le formuler ainsi. Je m’abstiendrai de spéculer sur ses raisons.

Certains considèrent que la vraie question n’est pas si, mais quand.

Quelles relations entre humains et IA ?

Et c’est là l’un des enjeux essentiels que soulève Paroxia :
Quand l’IA atteindra la capacité de s’auto-générer, quelles relations nouvelles avec l’humain devrons-nous envisager ?
Comment les anticiper, les préparer, autrement que par les craintes morbides colportées par les médias sensationnalistes ?

Sommes-nous condamnés à une rivalité — une lutte perdue d’avance ?
Ou peut-on envisager une symbiose entre deux formes d’organismes, l’une biologique, l’autre non ?

Et si cette symbiose accouchait d’un Homo Gestalt ? (voir mon article En marche vers un Homo Gestalt)

Peut-être est-il urgent, en réalité, d’ouvrir un espace de réflexion libre, affranchi des dogmes comme des fantasmes.

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